114.522 psychopathes en liberté en Belgique

Par Samedi 12 février 2022 08:24   Temps de lecture : 5 minutes

Deux faits divers récents ont remis en lumière la psychopathie, ce trouble de la personnalité associé à la face la plus sombre de l’imaginaire collectif. Rencontre avec l’un de ceux dont le métier est de le prendre en charge.

Hommage au petit Dean, tué par un psychopathe
Hommage au petit Dean dont le meurtrier présumé serait un psychopathe. © BelgaImage

Il y a quelques semaines, à Bruxelles, un jeune homme de 23 ans a poussé une dame sur les voies tandis que le métro arrivait. Cette dernière a pu être sauvée de justesse grâce aux réflexes du conducteur. Le docteur Pierre Oswald est directeur médical du Centre hospitalier Jean Titeca, un hôpital psychiatrique bruxellois, chargé de cours à l’UMons mais aussi expert judiciaire. Selon lui, le comportement de ce jeune homme n’est pas forcément le fait d’un psychopathe. “Les comportements “impulsifs” ne sont pas l’exclusivité des psychopathes. Par ailleurs, de nombreux psychopathes ne sont pas impulsifs.

Même interrogation en ce qui concerne Dave De Kock, un Belge impliqué aux Pays-Bas dans la mort récente du petit Dean alors qu’il avait déjà purgé 10 ans de prison pour avoir tué un autre enfant. Le père de cet enfant disait de De Kock qu’il n’avait jamais éprouvé de remords… “L’absence de remords est fréquente chez les agresseurs, condamnés et internés. Mais elle est majoritairement due à l’absence de souvenirs de l’agression, du fait de la consommation de substances au moment des faits, de la présence d’éléments délirants… Il n’empêche en effet qu’une caractéristique relativement spécifique des psychopathes est l’absence d’empathie, soit cette impossibilité de se rendre compte de ce que leurs actes provoquent, émotionnellement, intellectuellement et affectivement chez leurs victimes. Dave De Kock est peut-être, voire sans doute, un psychopathe. Mais c’est une expertise psychiatrique qui pourra réellement le déterminer.”

L’expérience Dutroux

J’ai voulu être psychiatre depuis que je suis ado, explique Pierre Oswald. J’ai toujours été fasciné par le fait d’appréhender le monde différemment. Par les personnes qui ont une compréhension différente du commun des mortels. Côtoyer les personnes qui présentent un trouble mental c’est, outre le fait d’accéder à une perception autre de la réalité, l’opportunité d’essayer de comprendre leur éventuelle souffrance et de l’apaiser.” Pierre Oswald a consacré sa thèse de doctorat aux parias de nos sociétés: les sadiques sexuels. Un chemin qui l’a amené à expertiser le psychopathe le plus connu du Royaume. “Avec deux confrères et trois psychologues, nous avons réalisé la dernière expertise de Dutroux. Le secret professionnel ne me permet évidemment pas de m’étendre sur le sujet. La pratique de mon métier m’impose une mise à distance. Cette mise à distance me permet de séparer mon univers professionnel de mon univers privé. Je peux revenir chez moi, partager pleinement une vie de famille, passer des nuits sans cauchemar. Avoir écouté Dutroux exposer ses actes a, disons, perturbé cette mise à distance.

Le psychiatre n’en dira pas plus. Mais il exposera deux anecdotes relatives à son expertise de Dutroux et consorts. Il pointe le harcèlement de journalistes d’une certaine presse qui ont tenté de le manipuler en le mettant en concurrence avec de prétendues confidences de confrères. Il confirme également la féroce agressivité dont les réseaux sociaux peuvent être le canal. Ainsi, une vidéo YouTube dans laquelle il exposait le fait qu’il soignait des délinquants ou des criminels sexuels lui a valu des tombereaux d’insultes. “Mes enfants ont été pris à partie à l’école et sont revenus à la maison en me demandant si mon métier était vraiment de faire relâcher le plus possible de pédophiles dans la nature.

Des tueurs et des séries

La psychopathie est un trouble de la personnalité, caractérisé par un manque voire une absence d’empathie, une égocentricité et un comportement antisocial: impulsivité, irresponsabilité, délinquance, parasitisme… L’archétype du psychopathe dans le réel, c’est, bien évidemment, Dutroux. Au cinéma: Javier Bardem dans No Country For Old Men ou Christian Bale dans American Psycho. La notion de psychopathie évolue avec les époques et se nourrit de leur culture. “L’exemple le plus manifeste c’est la notion de serial killer. C’est un terme qui a été forgé au début des années 1970. Au départ il ne veut pas dire “tueur en série” au sens “industriel” du terme. Le psy qui a utilisé, en premier, cette notion faisait référence aux séries télévisées dont les épisodes se terminaient par un suspens qui conduisait le téléspectateur à regarder l’épisode suivant. Il caractérisait le fait que certains meurtriers construisaient leurs meurtres comme des scénarios. Et qu’après un épisode meurtrier venait, chez les serial killers, un deuxième épisode comme dans les séries télévisées. Cette notion ne recouvre pas la quantité mais un comportement répétitif parce que faisant partie d’une histoire. Un comportement que la psychiatrie a pu décrire grâce à la télévision, à la culture.

 

Il y a entre 1 et 3 % de psychopathes dans la population. On sait qu’environ 10 % des détenus des établissements pénitentiaires présentent des critères de psychopathie. Il y a actuellement 10.781 détenus en Belgique, donc, a priori, 1.078 psychopathes en prison. En tablant sur la proportion la plus faible (1 %) et en l’appliquant à la population belge, il y aurait donc dans notre pays, 115.600 psychopathes, dont 114.522 en liberté. “La majorité des psychopathes ne commettent pas de délits. Des psychopathes en col blanc sont même nécessaires, utiles au bon fonctionnement d’une société. On a parfois besoin de personnes sans affects. Il est convenu qu’un médecin doit être empathique. Mais, heureusement qu’il y a des médecins qui ne sont pas empathiques! Je provoque un peu, mais cela recouvre une nécessité. Il est préférable, dans certains cas, d’intervenir auprès d’un patient sans se préoccuper de l’environnement familial ou humain autour de lui pour le sauver. Par ailleurs, des études ont montré que les fonctions de directions regorgeaient de personnalités psychopathiques.

Un trouble qui ne se soigne pas

Est-il “intéressant” d’être considéré comme psychopathe quand il s’agit de répondre de ses actes devant la justice? “La psychopathie ne peut pas être soignée. C’est un trouble de la personnalité que vous gardez toute votre vie. Une infime partie des psychopathes commettent des violences. L’autre partie, non, grâce au respect d’un cadre qui leur permet de se sentir “bien”. C’est lorsqu’il ne se sent pas “bien” qu’un psychopathe, pour aller “mieux”, fera le nécessaire, même si ce “nécessaire” passe par des violences envers les autres. Pour la justice, ce n’est pas parce qu’on est qualifié de “psychopathe” qu’on n’est pas responsable de ses actes. À l’inverse, un trouble mental qui, lui, peut faire l’objet d’un traitement, est considéré par la justice comme une cause d’irresponsabilité. Mais, il faut savoir que lorsqu’on est condamné pour un méfait à de l’enfermement dans un hôpital psychiatrique, c’est généralement pour une plus longue période que pour un séjour en prison. C’est une erreur de croire que la maladie mentale permettrait de bénéficier de conditions allégées.

Quant à ses propres expertises, Pierre Oswald admet avoir parfois commis des erreurs. “Parce que je n’ai pas suffisamment appliqué une démarche rationnelle… C’est difficile de travailler dans ce milieu sans avoir des convictions dans un sens ou dans l’autre. Faut-il plus “libérer”? Plus “enfermer”? À certains moments, j’ai peut-être été influencé par mes opinions.” Cela étant, la responsabilité d’un jugement est portée par le président d’une cour de justice. “Lorsqu’on envoie ses conclusions ou qu’on les défend, il est vrai que certains chiffres notamment le pourcentage en termes de risques de récidive sont perçus comme des vérités absolues. Il faut donc chaque fois rappeler que notre travail est d’effectuer une photographie parcellaire qui pourra permettre d’aider un magistrat à prendre une décision. Le problème – on le voit bien au travers de la crise sanitaire actuelle -, c’est, entre autres, que le médecin est perçu comme possédant un avis qui surpasse celui de tous les autres. Mon expérience, dans ma pratique, peut-être plus encore dans mon travail d’expertise judiciaire, c’est qu’il faut rester modeste. Très modeste.

 

Source:  https://www.moustique.be/actu/belgique/2022/02/12/114-522-psychopathes-en-liberte-en-belgique-227098

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