La procédure est exceptionnelle et ne s’applique que « lorsque l’Etat ne collabore pas ou refuse d’améliorer la situation à la lumière des recommandations du CPT ». Avant la Belgique, seuls quatre pays en a avaient fait l’objet depuis l’entrée en vigueur de la Convention européenne contre la torture et les traitements inhumains et dégradants en 1987 : la Turquie concernée deux fois, la Russie trois fois, ainsi que la Grèce et la Bulgarie.

Situation d’une gravité exceptionnelle

Il s’agit donc d’une action ultime qui tient d’une mise en demeure symbolique certes – dans la mesure où le CPT ne dispose d’aucun moyen coercitif – mais particulièrement stigmatisante.

Trop c’est trop disent en substance les experts du CPT au terme de douze années de visites et de rapports dans les prisons belges, l’heure est venue de faire solennellement et « une fois pour toutes » appel au « sens des responsabilités des autorités belges et de toutes les parties prenantes, y compris des partenaires sociaux, pour trouver une solution rapide et adéquate à ce problème d’une gravité exceptionnelle qui n’a pas lieu d’être dans un Etat membre du Conseil de l’Europe».

Les grèves en ligne de mire

En ligne de mire, les conditions de détention engendrées par les grèves très dures menées par les agents pénitentiaires.

« Ces actions collectives décidées parfois sans préavis et sans limite ni dans le nombre d’agents impliqués ni dans la durée ont des conséquences inacceptables » souligne la Déclaration qui pointe le confinement quasi permanent des détenus en cellule dans des conditions déjà inacceptables, les perturbations majeures dans la distribution des repas, la fréquente annulation des promenades quotidiennes, la forte dégradation des conditions d’hygiène puisque les détenus n’ont quasi plus accès aux douches, les restrictions d’accès aux soins de santé (pour lesquelles la Belgique a été condamnée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dénonçant en 2016 un « problème structurel » à résoudre dans le deux ans) et la quasi rupture des contacts avec le monde extérieur, y compris avec les avocats.

L’urgence d’un « service garanti »

Certes, le dialogue avec les autorités belges en ce qui concerne la mise en place d’un « service garanti » même en cas de mouvements sociaux n’a jamais été rompu depuis 2005, souligne le CPT qui rappelle sa satisfaction lorsqu’il a été avisé qu’en octobre 2014, cet aspect avait été inclus dans l’Accord de coalition. Cela n’a cependant pas suffi et « le phénomène a atteint son paroxysme d’avril à juin 2016 lors de mouvements d’une rare intensité qui ont touché la plupart des établissements pénitentiaires de la zone francophone » et ont contraint les autorités belges à « faire appel aux forces armées afin de prêter main forte à des directions et à quelques poignées d’agents pénitentiaires au bord de l’épuisement ».

Des points de vue diamétralement opposés

Une initiative législative a alors été promise au CPT par Koen Geens, ministre de la justice. Celle-ci devait être concrétisée avant la fin 2016 mais lors d’un échange entre toutes les parties prenantes organisé en 2017, le comité n’a pu constater que « des points de vue diamétralement opposés en ce qui concerne l’instauration d’un service garanti et les questions liées au statut des agents pénitentiaires ».

« Frustration, démoralisation et sentiment d’abandon étaient les maîtres mots exprimés par les personnes avec lesquelles la délégation s’est entretenue, que ces personnes fussent en détention ou qu’elles fussent responsables de celles-ci ».

Responsabilité de l’Etat

Le CPT dit comprendre « le désarroi de certains représentants syndicaux face à des conditions de travail parfois loin de permettre un niveau décent de prise en charge », il appelle à des progrès substantiels en la matière mais ne transige pas sur l’obligation d’un service permanent qui garantisse les droits élémentaires des personnes détenues et rappelle que sa mise en place « émane directement de la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de toute personne qu’il prive de liberté ».

Nulle part ailleurs en Europe

C’est donc aux autorités belges que s’adresse en premier lieu la Déclaration publiée ce mercredi à Strasbourg. A charge pour elles de passer des promesses aux actes législatifs pour que la Belgique ne fasse plus figure de dramatique exception européenne.

« Au cours de ses multiples visites dans les établissements pénitentiaires des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe ces 27 dernières années, le Comité n’a jamais observé de phénomène analogue, tant au niveau de la portée du phénomène que des risques encourus», souligne en effet la Déclaration. Une réalité inacceptable.