De l’embouteillage au burnout

Contribution externe Publié le dimanche 13 mars 2016 à 11h52 – Mis à jour le lundi 14 mars 2016 à 17h48

Entreprise / Emploi

Une opinion de Régine Sponar, doctorante en psychologie et philosophe.

L’embouteillage récurrent induit, chez certains employés fortement investis dans leur travail, l’inscription d’un stress émotionnel; une anxiété sur l’heure d’arrivée, qui au lieu d’être précise, devient incertitude. Il se cumule à la perception de ne pas arriver à faire ses tâches dans les délais impartis. Cette anxiété sur une période estimée à 6 mois peut se muer en épuisement physique.

Ce stress quotidien a donc un coût certain pour l’employé, l’entreprise ou l’institution, et la sécurité sociale.

La prévention du burnout via l’identification des stress chroniques a l’avantage de pouvoir être efficace dès les premiers signes de l’épuisement émotionnel et physique, avant le congé de maladie. Quelque 73 % des employés/indépendants qui consultent pour effectuer une prévention du burnout disent être stressés quand ils arrivent en retard au travail et pour 52 % d’entre eux ce stress est lié aux embouteillages. 87 % de ces employés utilisent la voiture. Non par choix mais pour gagner du temps sur les transports en commun. Ils roulent en moyenne en aller simple régulier 50 min/jour et en trajets irréguliers 45 min/jour pour un total d’environ 2h25/jour. Travailleurs courageux, avec des horaires prestés d’une moyenne de 47 heures par semaine, ils font partie de la cohorte des navetteurs qui partent tôt le matin et reviennent tard en soirée à leur domicile, rejoignant ainsi le dernier peloton bouchonné journalier. Pour des raisons de non-maillage avec le réseau des transports en commun, ces employés ne peuvent pas les utiliser; cela allongerait considérablement leur temps de trajet.

Parmi tous les moyens de transport utilisés, c’est le trajet en voiture embouteillé d’une durée supérieure à 45 min (pour un trajet aller-simple) qui génère le plus de stress chronique. Pourquoi ? Le travailleur est stressé s’il arrive en retard au travail. L’embouteillage induit une incertitude sur l’heure d’arrivée qui sera plus tardive.

Les trajets irréguliers en voiture calculés en h/semaine sont plus stressants que les réguliers pour les mêmes raisons liées aux incertitudes. L’absence de connaissance de la route à utiliser et la complexité des déviations apparaissent illogiques, compliquées, dépourvues de sens pour les utilisateurs du réseau, ajoutant une fatigue cognitive à une colère ou un sentiment d’impuissance.

Les employés et fonctionnaires non-cadres dirigeants, qui représentent la majorité des employés et fonctionnaires n’ayant pas de pouvoir décisionnel (1), sont, dans le contexte des embouteillages, plus impactés. Si le cadre dirigeant peut également ressentir le stress d’une arrivée tardive, il a la main mise sur la gestion de son temps et il n’aura pas à souffrir d’une réprobation d’un supérieur hiérarchique pour arrivée tardive.

Le sommeil est perturbé pour arriver encore plus tôt au travail et donc anticiper l’embouteillage par peur de rater une tâche importante.

La peur de perdre son job peut devenir une conséquence de ces embouteillages récurrents. Il n’est pas rare d’entendre un employé, devant traverser Bruxelles d’Est en Ouest ou du Sud au Nord, expliquer se lever dans la nuit pour être au bureau avant les embouteillages du matin et ouvrir ensuite une centaine d’e-mails avant de pouvoir commencer sa journée à travailler pour le job pour lequel il est engagé.

L’absence de parking autour des écoles et l’absence de parking à l’arrivée au travail sont deux facteurs de stress chroniques pour les parents déposants les enfants à l’école en voiture. En focus group, une cardiologue est convaincue qu’à partir de 3 minutes de recherche infructueuse d’un parking, le système cardio vasculaire est impacté par ce stress généré quotidiennement. Des solutions innovantes devraient être réfléchies pour éviter le stress aux parents, mais aussi aux enfants qui perçoivent comme des éponges le "stress transport" des parents dans la voiture.

Le flexi-time pour les parents, tel que pratiqué en Allemagne dans certains districts congestionnés, devrait être proposé dans les zones embouteillées pendant les périodes où les enfants vont à la crèche et à la maternelle. Le Danemark et la Suède (60 %) suivi de l’Allemagne (50 %) offrent le plus de flexi-time à leurs employés pour éviter du stress aux jeunes parents et désengorger les axes aux heures de pointe (2).

A contrario, le vélo amène l’employé à l’heure au travail malgré les embouteillages. Le cycliste, qui a la chance ou les moyens d’habiter dans un rayon de 10 km de son travail, évalue très bien son temps de trajet. De plus, ce sport d’endurance lui est bénéfique en terme de santé. L’absence de sécurité pour les cyclistes et la pollution au diesel sont les facteurs déterminants expliqués lors des entretiens privés qui justifient pourquoi certains employés n’utilisent pas assez le vélo sur des courtes distances en milieu urbain fortement embouteillé.

L’impression d’un manque d’accomplissement dans son travail, dimension clef de la réponse aux stresseurs chroniques définis par la docteur en psychologie C. Maslash et M. Leiter lors d’un burnout avéré, est non significative lors de nos entretiens de prévention sauf dans l’éventualité ou un employé est empêché de faire ses tâches dans son agenda bien rempli à cause d’un facteur indépendant de sa volonté. Ce qui est bien le cas lorsqu’il est retenu dans des embouteillages.

Hormis son impact sur le nombre de voitures de société octroyées à ses employés et le remboursement ou non des frais de transport, l’entreprise ou l’institution n’est pas impliquée dans les épuisements liés à cet indicateur. Il relève, en grande partie, de la compétence des autorités régionales qui peuvent par leur politique augmenter le bien-être des employés et indépendants en terme de santé mentale et physique en aménageant un transport de qualité, rapide et efficace.

Tout employé effectuant 45 min aller simple de trajet par jour en voiture – ceci prouve déjà son attachement à son travail et à son entreprise ou institution -, dans des conditions perçues et mesurées comme contraignantes ou très contraignantes 5 jours semaine, devrait sur base de confiance employé-employeur pouvoir, lorsque son travail s’y prête, utiliser par convention, le travail à domicile un jour semaine, avec un travail prédéterminé à y effectuer. Des études scientifiques prouvent que 20 % de travail supplémentaire est effectué par jour de téléworking.

Un employé non épuisé est un employé qui sera plus performant, plus créatif et moins absent et le gain de temps sur les embouteillages peut finalement s’avérer être un beau cadeau pour l’entreprise et l’institution tout comme pour les systèmes écologiques.

 

L’indicateur "Transport" est un des 8 indicateurs mesuré dans le cadre de la Prévention du Burnout depuis 2012 par la First Spin Off de l’UCL "preventingburnout.eu" de R. Sponar et du Professeur F. Fouss qui mettent au point un logiciel de prévention du burnout pour les entreprises et les institutions.

(1) La variable de Karasek est fréquemment ajoutée dans les études scientifiques sur la mesure du burnout.

(2) J. Platenga et C. Relery "Flexible working time arrangements and gender equality. A comparative review of 30 european countris", 2009

 

From <http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/de-l-embouteillage-au-burnout-56dea89c35708ea2d35e183b>

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