Flore intestinale, le cerveau sous influence

 

Vendredi 4 octobre 2013, par  Administrateur, Amessi , popularité : 82%

Chaque être humain héberge dans son intestin un écosystème composé de dix fois plus de bactéries que notre corps ne contient de cellules. L’ensemble des génomes de ces microorganismes constitue ce que les biologistes appellent le métagénome intestinal humain

Les outils moléculaires et bio-informatiques permettent aujourd’hui de décrire la diversité des 10 000 milliards de bactéries qui colonisent notre tube digestif et forment le microbiote intestinal, ce que l’on appelait il n’y a pas si longtemps la flore intestinale.

 

Sommaire  

  Flore intestinale, le cerveau sous influence

Formé durant l’accouchement, à partir de la flore fécale et vaginale maternelle, cet organe, non palpable alors que son poids peut atteindre deux kilogrammes, assure des fonctions essentielles pour l’hôte qui l’héberge à demeure. Ces microbes contribuent à la conversion des aliments en nutriments et en énergie, de même qu’à la synthèse de vitamines indispensables à
l’organisme. Ils participent également à la maturation du système immunitaire. De récentes
expériences chez la souris apportent un nouvel éclairage sur l’implication du microbiote
intestinal dans plusieurs pathologies humaines non digestives

Des études épidémiologiques ont montré que le microbiote intestinal des enfants
asthmatiques diffère de celui des enfants sains et qu’il existe un risque accru de survenue
d’un asthme en cas d’administration d’antibiotiques aux premiers âges de la vie. De même,
les enfants nés par césarienne, non exposés aux bactéries vaginales et fécales de leur
mère à la naissance, ont un microbiote intestinal différent des enfants accouchés par voie
naturelle et présentent un risque plus élevé de développer un asthme.

 Une étude canadienne, publiée dans la dernière livraison d’EMBO Report et présentée au congrès MetaHIT, montre que l’administration chez la souris de certains antibiotiques en période néonatale peut augmenter la susceptibilité à développer un asthme allergique.

L’expérience, conduite par l’équipe de Brett Finlay, de l’Université de Colombie -Britannique à
Vancouver (Canada ), a comparé l’impact de deux antibiotiques, la streptomycine et la
vancomycine, sur le microbiote intestinal de souriceaux nouveau-nés et a évalué leur
capacité à favoriser l’apparition d’un asthme allergique après exposition à un allergène. Le
traitement par streptomycine a eu un effet limité sur le microbiote intestinal et sur la maladie
asthmatique, alors que la vancomycine a entraîné une importante réduction de la diversité
microbienne intestinale et a augmenté la sévérité de l’asthme.

En revanche, aucun des deux antibiotiques n’a eu d’impact chez la souris adulte, ce qui
montre qu’il existe une période critique, au début de la vie, durant laquelle une modification
du microbiote intestinal peut perturber le développement du système immunitaire et entraîner
une sensibilisation allergique. “C’est la première fois qu’une étude montre que le microbiote
intestinal joue réellement un rle dans la survenue de l’asthme”, souligne le professeur
Finlay.

Si le role qu’exerce le microbiote intestinal dans la maturation du système immunitaire est
largement reconnu, il est plus difficile, à première vue, “de concevoir que la flore intestinale
puisse avoir un impact sur les fonctions cérébrales et le comportement”, reconnaît le
professeur Stephen Collins, gastroentérologue de l’université MacMaster d’Hamilton
(Canada ). Plusieurs études chez l’animal ont pourtant contribué à renforcer le concept d’un
“axe intestin-cerveau”.

Schématiquement, ce réseau bidirectionnel permet au cerveau d’influer sur les activités
motrices, sensitives et sécrétoires du tube digestif et à l’intestin d’exercer une action sur les
fonctions cérébrales. L’équipe du professeur Collins a montré qu’un traitement oral d’une
semaine par plusieurs antibiotiques chez la souris adulte induit des perturbations de la
composition des populations bactériennes du clon, un comportement anxieux, ainsi qu’une
élévation du taux d’une protéine impliquée dans la croissance et la survie des neurones, le
BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor), dans l’hippocampe et l’amygdale, régions du
cerveau respectivement impliquées dans la mémoire et l’apprentissage d’une part, l’humeur
et la mémoire d’autre part. L’arrêt de l’antibiotique a permis de restaurer le comportement
normal des rongeurs.

Récemment, cette équipe a conduit une expérience qui exploite le fait que deux souches de
souris n’ayant pas le même comportement naturel diffèrent également par la composition
leur flore intestinale.

Les souris d’une souche sont timides et anxieuses alors que celles de
l’autre souche montrent une grande tendance à explorer leur environnement. Elevées dans
des conditions stériles, les deux souches de souris, dépourvues de germes intestinaux, ont
été transplantées avec le microbiote intestinal de l’une ou l’autre souche. Résultat : les
chercheurs ont inversé le comportement des rongeurs, les souris timides devenant de
vraies exploratrices et vice-versa !

Pour Stephen Collins , “les bactéries résidentes intestinales pourraient produire des
substances actives sur le cerveau. Dans les années à venir , la transcriptomique et la
métabolomique, techniques permettant d’analyser le fonctionnement génétique et l’activité
métabolique du microbiote intestinal, seront essentielles pour déterminer quelle bactérie
produit telle molécule neuroactive, seule ou en coopération avec d’autres communautés
microbiennes, et sur quelle cible la bactérie interagit”.

Son équipe vient de montrer que le cerveau peut également avoir un impact sur le microbiote
intestinal. Les chercheurs ont utilisé un modèle de dépression chez la souris par ablation
chirurgicale des bulbes olfactifs. Chez ces souris rendues anxieuses et très sensibles au
stress, les chercheurs ont observé une altération du microbiote intestinal de même qu’une
augmentation du taux intracérébral de CRF, un neuromédiateur du stress libéré par
l’hypothalamus. L’étape suivante a été d’injecter du CRF dans le cerveau de souris
normales. Cette injection a eu pour conséquence de perturber la flore intestinale. L’axe
intestin-cerveau est donc bien bidirectionnel.

Les travaux des chercheurs canadiens ont notamment révélé que les perturbations du
microbiote intestinal chez les souris opérées et celles qui ont reçu du CRF en intra-cérébral
sont associées à un changement de la motilité du côlon.

“Ces nouveaux résultats permettent de penser que les perturbations de la chimie du cerveau observées chez les patients souffrant de pathologies neuropsychiatriques, comme l’autisme, la dépression et la schizophrénie, peuvent modifier la physiologie du clon, en l’occurrence le transit intestinal, et impacter la composition de la flore intestinale”, estime Stephen Collins.

La reconnaissance de l’existence de l’axe intestin-cerveau revêt une grande importance
dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales et dans le syndrome de l’intestin
irritable (SII).
Une pathologie psychiatrique est en effet observée chez 60 % à 85 % des
patients souffrant de SII, le plus fréquent des troubles fonctionnels intestinaux qui affecte 10
% à 12 % de la population générale et se manifeste par une douleur abdominale, une
constipation, une diarrhée ou une alternance de ces deux symptômes. Chez la souris
présentant une inflammation intestinale chronique modérée, l’administration de probiotiques
peut normaliser le comportement et la chimie du cerveau.

 Autre pathologie ou le microbiote intestinal est fortement soupçonné de jouer un rôle central :

les douleurs abdominales récurrentes (DAR) de l’enfant, pathologie qui affecte 15 % à 45 %
des enfants d’âge scolaire.

“Nos travaux montrent que la flore bactérienne intestinale des enfants souffrant de douleurs abdominales récurrentes et du syndrome de l’intestin irritable est différente de celle des enfants sains, avec une composition anormalement élevée de certaines espèces bactériennes”, indique le professeur James Versalovic, du département de pathologie du Baylor College of Medicine et du service de pédiatrie du Texas Children’s
Hospital d’Houston (Etats-Unis ).

Il souhaite “développer de nouvelles stratégies de manipulation microbienne par des interventions nutritionnelles, l’administration de probiotiques ou d’antibiotiques, afin de renforcer et favoriser les populations microbiennes bénéfiques ou celles capables de résister à la maladie”.

Le dialogue thérapeutique avec ce monde intérieur ne fait que commencer .

 LEXIQUE

  1. Microbiote intestinal Anciennement dénommé flore intestinale, il est constitué de l’ensemble des bactéries qui colonisent notre tube digestif. Il se forme durant l’accouchement, dès la rupture des membranes, à partir de la flore fécale et vaginale maternelle, puis se constitue par le biais de l’alimentation et le contact avec l’environnement, pour se stabiliser vers l’âge de 2 ans.
  1. Métagénome intestinal humain Ensemble des génomes des bactéries qui colonisent l’intestin de l’homme.
  1. Métagénomique Discipline qui permet de déterminer la présence et la fréquence des gènes microbiens présents dans le microbiote intestinal.
  1. Métagénomique quantitative Technique consistant à extraire la totalité de l’ADN fécal pour ensuite amplifier un grand nombre de séquences génétiques. Chaque séquence est plus ou moins amplifiée selon l’abondance ou la rareté du gène bactérien correspondant.
  1. Métagénomique fonctionnelle Technique visant à identifier les gènes microbiens intestinaux impliqués dans une grande variété de fonctions, notamment le dialogue entre le microbiote intestinal et les cellules humaines.
  1. Transcriptomique Science qui permet l’analyser des ARN codés par l’ADN du métagénome bactérien.
  1. Protéomique Science qui permet l’analyse des protéines synthétisées par les ARN bactériens.
  1. Métabolomique Science qui permet l’identification des métabolites (petites molécules) issus de l’activité des populations bactériennes du microbiote intestinal.
  1. Probiotiques Microorganismes (bactéries, levures) qui, après avoir été ingérés vivants en quantité suffisante, exercent un effet bénéfique sur la santé.

“Il y a des corrélations entre le génome de notre microbiote et notre état de santé”

© Le Monde.fr | Par Marc Gozlan

 Source:  http://www.amessi.org/flore-intestinale-le-cerveau-sous-influence?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+amessi+%28AMESSI-RSS%29

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