Plus de ministres, de parlementaires, de cabinettards et de dépenses… En Wallonie, la machinerie politique est bien plus lourde qu’en Flandre
Bosco d’Otreppe Journaliste au service Belgique. Suivi de l’actualité migratoire et religieuse.
Publié le 14-06-2024 à 19h24
Ce sont les résultats d’une étude publiée ce vendredi par l’UCLouvain.
Les chiffres sont éloquents. En Flandre, on compte neuf ministres pour 6,8 millions d’habitants. Du côté de la Wallonie et de Bruxelles, on compte 21 ministres pour 4,8 millions d’habitants. Et à leur niveau, on dénombre proportionnellement deux fois plus de mandataires communaux en Wallonie qu’en Flandre.
Ces données sont quelques exemples d’un rapport intitulé “Le fédéralisme belge en chiffres : simplifier pour amplifier”, quitombe à pic en cette période de négociations politiques. Rédigé par Jean Hindriks et Alexandre Lamfalussy, ce rapport a été publié ce vendredi pour le compte du Lidam de l’UCLouvain (le Louvain Institute of Data Analysis and Modeling in economics and statistics).
Les deux chercheurs avaient pour ambition d’établir “un inventaire actualisé des effectifs politiques et de leurs coûts” du mille-feuille institutionnel belge. Force est de constater que la Wallonie y souffre de la comparaison avec la Flandre sa voisine.
1. Les cabinets ministériels sont bien plus fournis en Wallonie
Partons du haut. Au niveau des six pouvoirs exécutifs belges, le pays compte 54 ministres et secrétaires d’État (dont 9 ministres de la Santé, 4 ministres du Climat, 4 ministres de la Mobilité et 3 ministres de l’Enseignement). Ce total n’est pas réparti de manière équitable entre la Flandre (qui connaît un seul gouvernement régional) et la partie francophone du pays (avec les gouvernements wallon, bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles). Au nord du pays, on compte un ministre régional ou communautaire pour 740 000 habitants, alors que l’on est à un ministre régional ou communautaire pour 230 000 habitants en Wallonie et à Bruxelles.
À ces chiffres, il faut ajouter les deux mille membres (environ) des cabinets ministériels. Là aussi, la différence nord/sud est notable. Dans les cabinets wallons, on compte, en moyenne, 50,5 équivalents temps plein (ETP). Cette moyenne tombe à 32,6 au niveau fédéral et à 30,3 au niveau flamand. “C’est un exercice risqué de comparer les effectifs étant donné que les compétences ne sont pas les mêmes d’un cabinet à l’autre, reconnaissent les auteurs. Il est cependant difficile de justifier une moyenne de 20 ETP en plus en Wallonie comparé à la Flandre. D’autant plus que les compétences wallonnes sont partagées entre le gouvernement Wallon et celui de la fédération Wallonie Bruxelles.” Les auteurs de l’étude en sont persuadés : il est possible de dégrossir ces cabinets qui représentent un coût annuel réel de plus de 300 millions d’euros.
2. Il y a quatre fois plus de parlementaires à Bruxelles qu’en Flandre
Jean Hindriks et Alexandre Lamfalussy posent un regard sévère sur les rangs parlementaires et leurs 592 députés (un chiffre proportionnellement bien plus élevé que dans la plupart des pays similaires – dont la Suisse). D’autant que “les députés belges bénéficient de salaires généreux (8 743 euros bruts) et d’indemnités ‘forfaitaires’ non justifiables (2 448 euros net par mois) qui débouchent sur des abus en frais de bouche et de voyages. À cela s’ajoute des indemnités de sortie, des indemnités de fonctions spéciales, des bonus pension… Tous ces avantages pécuniaires contrastent avec un taux d’absentéisme élevé (30 %) et le cumul des mandats. Les conflits d’intérêts sont multiples.”
Ici aussi, l’écart régional est frappant : on compte deux fois plus de parlementaires en Fédération Wallonie-Bruxcelles et en Wallonie qu’en Flandre, et quatre fois plus de parlementaires à Bruxelles qu’en Flandre. Dans la capitale et en Fédération Wallonie-Bruxelles, il serait possible de réduire le nombre de parlementaires qui s’occupent, pour beaucoup, de compétences limitées, laisse entendre l’étude.
3. Les provinces wallonnes sont les plus dépensières
Là où les comparaisons sont les plus frappantes entre la Wallonie et la Flandre, c’est au niveau des provinces et des communes. En 2022, les dépenses provinciales wallonnes atteignaient 306 euros pat habitant contre 113 euros en Flandre. Il y a deux fois plus de conseillers provinciaux par habitant en Wallonie qu’en Flandre. Les cinq provinces wallonnes emploient quatre fois plus de personnes par habitant que les provinces flamandes. Au total, “les provinces wallonnes dépensent trois fois plus par habitant que les provinces flamandes et presque quatre fois plus en dépenses de personnel”. Ce différentiel est en partie le résultat de l’accord de gouvernement flamand 2014-2019 qui a réduit de moitié le nombre de conseillers provinciaux. Au sud du pays, le projet de décret de réforme des provinces n’a jamais abouti.
4. La Wallonie compte deux fois plus de mandataires communaux par habitant
Au niveau communal aussi, la différence est nette: en Wallonie, par habitant, il y a deux fois plus de mandataires communaux qu’en Flandre. “Cet écart est lié à la plus petite taille des communes wallonnes et au fait qu’il y a dans les communes du sud du pays une duplication des conseillers de l’action sociale et des conseilleurs communaux. Ce n’est plus le cas en Flandre où, depuis 2019, les CPAS et les communes sont intégrées dans une même entité, explique Jean Hindriks. Nous pourrions donc réfléchir à une telle réforme, comme au fait de favoriser, où cela est possible, des fusions entre communes, et la rationalisation de services. La Wallonie compte en effet deux fois plus d’intercommunales et d’administrateurs d’intercommunales par habitant que la Flandre.”
Sur le plan des communes, une nuance convient d’être apportée : si l’on se penche sur les dépenses communales, la Wallonie dépense moins par habitant que la Flandre. Les communes flamandes étant de manière générale plus prospères, elles disposent de plus de moyens et dépensent davantage. La politique de fusion tend cependant à amoindrir ce différentiel entre les deux régions.
Une tuyauterie trop complexe
Cela établit, les auteurs de l’étude ne se prononcent pas sur des réformes concrètes à implémenter, et n’appellent pas à une nouvelle réforme de l’État qui impliquerait encore plus de décentralisation et de dispersion du pouvoir à leurs yeux. Ils souhaitent simplement offrir des clés de discussion pour mieux aborder différents débats : la fusion de la Communauté et de la Région en Wallonie, la complexité institutionnelle de Bruxelles, l’avenir des provinces et de leurs rôles, celui des intercommunales…. “Face à la défiance et la colère qui s’accroissent envers les pouvoirs publics, il est nécessaire – surtout en Wallonie – d’engager de telles réflexions”, conclut Jean Hindriks. Ces réformes ne pourront certainement pas combler les déficits budgétaires, “mais dans l’état actuel des choses, il ne servirait à rien d’injecter de nouveaux moyens dans notre tuyauterie : elle est trop morcelée, trop complexe, trop percée”.
Lien vers le rapport : https://uclouvain.be/en/research-institutes/lidam/core/news/le-federalisme-belge-en-chiffres-simplifier-pour-amplifier.html
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