
L’invité de Matin Première
il y a 6 heures – 3 min – Info
Par Cynthia Deschamps sur base d’une interview de Thomas Gadisseux
Il faudrait des centaines de milliards d’euros pour dépolluer le continent européen de ses PFAS et composants chimiques éternels qui restent dans les eaux, les sols et les corps humains. Pourquoi ne pas les interdire purement et simplement ? C’est la question au cœur de l’interview de Matin Première. Pour y répondre, Hans Van Scharen était l’invité de Thomas Gadisseux. Ce chercheur et chargé de campagne au sein de l’ONG Corporate Europe Observatory, organisation spécialisée dans la surveillance des activités de lobbying à Bruxelles, est très actif sur le dossier des PFAS.
Alors que l’Europe, fortement contaminée, compte au moins 23.000 sites de pollution et 2300 “hotspots”, l’Allemagne, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède ont soumis une proposition de “restriction universelle“ (“uPFAS”) des PFAS. Elle vise à en interdire tous les usages et la production. Cela a déclenché une vaste offensive des lobbies, qui reprennent pour ce faire des techniques développées par l’industrie du tabac il y a 50 ans, explique Hans Van Scharen. “Ces techniques ont pour but de dissuader les politiques nationaux mais aussi européens de protéger le public et l’intérêt général.“
Techniques de lobbying
“Semer le doute” est la stratégie maîtresse, affirme le chercheur. Et pour y arriver, les lobbies n’hésitent pas à dépenser des millions d’euros. Cet argent sert, par exemple, à payer des études d’impact, assure Hans Van Scharen, et instrumentalise ainsi la science. Il sert aussi, certifie-t-il, à bombarder d’informations les politiques à tous les niveaux, que ce soit les Belges, les Européens et même la présidente de la Commission européenne. “Les lobbies leur répètent que si l’Europe approuve la proposition des pays scandinaves d’interdire universellement les PFAS, la compétitivité de l’industrie européenne en souffrira et cela sera désastreux pour l’économie.“
Et apparemment cela fonctionne puisque, lors de la déclaration d’Anvers pour un pacte industriel européen en février 2024, les arguments de l’industrie chimique ont été repris dans le programme politique européen, remarque le chargé de campagne. “Nous sommes inquiets que les promesses qui ont été faites pour une réduction concrète de la pollution chimique par Ursula von der Leyen lors de son mandat précédent ne soient pas tenues.“
Inaction politique
Si l’argument de la compétitivité industrielle est régulièrement mis sur la table pour défendre les PFAS, il en va autrement de la charge qu’ils représentent pour la société, se désole Hans Van Scharen. Pourtant, “selon un rapport officiel des gouvernements des pays nordiques, ils coûtent entre 52 et 82 milliards d’euros par an en Europe à la santé publique.“
Et combien faudra-t-il débourser pour éliminer les PFAS avant qu’ils ne contaminent l’eau potable, l’alimentation et, au final, nos organismes ? La réponse est vertigineuse : entre 95 milliards d’euros et plus de 2000 milliards d’euros en Europe sur 20 ans. Soit 100 milliards d’euros par an “à perpétuité” pour la fourchette haute. Rien que pour décontaminer la Belgique, la facture oscille entre 2,5 milliards et 40 milliards d’euros sur 20 ans.
“Quel politicien aujourd’hui parle des charges pour les sociétés et pour les budgets nationaux, pour les budgets de santé publique ?“, s’indigne le chercheur. “C’est honteux.“
Transparence des lobbies
Comment expliquer cette “inaction” politique ? Selon Hans Van Scharen, “l’idéologie néolibérale” est la coupable puisqu’elle dit que “ce qui est bon pour les entreprises l’est aussi pour la société“. “On n’est pas contre les entreprises, évidemment, mais il faut quand même que la politique tranche : qu’elle endosse le rôle d’arbitre neutre qui défende les intérêts privés ET publics.“
Pour remédier à cela, l’ONG Corporate Europe Observatory demande que des règles soient mises en place pour éviter l’influence de l’industrie chimique sur la santé publique — une mesure qui existe déjà pour l’industrie du tabac notamment. “On voudrait interdire les meetings secrets. Et s’il y a des meetings, qu’il y ait des comptes rendus publiés, etc. Donc un peu de contrôle“, résume le chercheur.
Si vous désirez en apprendre davantage sur les manœuvres de l’industrie chimique pour torpiller une interdiction historique des PFAS, cliquez ici.
Source: https://www.rtbf.be/article/pfas-les-polluants-eternels-un-cout-vertigineux-pour-l-europe-et-une-inaction-politique-honteuse-11489710