Le constat est clair : la Wallonie est une région pauvre. Le PIB wallon par habitant est inférieur à 34 500 euros, en Flandre, c’est 50 000. Le retard de la Wallonie est énorme.”

"Par rapport à d'autres pays, il faut avoir le cœur bien accroché en Wallonie ou même en Belgique pour développer un business", explique Thierry Huet, CEO de la biscuiterie Desobry, basée à Tournai.
“Par rapport à d’autres pays, il faut avoir le cœur bien accroché en Wallonie ou même en Belgique pour développer un business”, explique Thierry Huet, CEO de la biscuiterie Desobry, basée à Tournai. ©D.R.

“Thierry Huet, patron de la biscuiterie Desobry : “On a toujours voulu protéger les Wallons de la réalité. Il y a un manque de courage politique”Le constat est clair : la Wallonie est une région pauvre. Le PIB wallon par habitant est inférieur à 34 500 euros, en Flandre, c’est 50 000. Le retard de la Wallonie est énorme.”

La biscuiterie Desobry, basée à Tournai, a été confrontée à de nombreuses crises ces dernières années : Covid, crise énergétique, envolée du cours des matières premières et maintenant flambée des cours du chocolat. Mais l’entreprise familiale tient le cap. Son patron nous explique comment. Et décoche des flèches à l’égard du monde politique.

Vincent Slits

Vincent SlitsChef du service Eco de La Libre

Publié le 14-04-2024 à 14h06

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Âgé de 68 ans, Thierry Huet a de l’énergie à revendre. Au fil du temps, il a fait de la biscuiterie Desobry, basée à Tournai, une belle “success story” wallonne. L’exemple d’une entreprise familiale qui a trouvé son salut à l’international en exportant 80 % de ses boîtes comprenant un assortiment de 45 biscuits différents et autres produits gourmands. Pourtant, l’homme, ancien vice-président de l’Union wallonne des entreprises (UWE), n’a pas sans langue en poche dès lors qu’il s’agit d’analyser l’état du tissu économique wallon et surtout l’absence de vision du monde politique pour redresser la Région.

La famille de Thierry Huet détient 67 % de Desobry, le solde étant entre les mains de la banque Degroof-Petercam (22 %) et des anciens managers et administrateurs (11 %). Thierry Huet salue d’ailleurs au passage le rôle joué par la banque d’affaires dans le développement de son entreprise. “Degroof-Petercam a été remarquable avec nous et nous a fait une confiance totale dans tous nos investissements”, raconte-t-il.

Comment expliquer ce goût pour l’international ? “C’est dans mon ADN. Je suis fils de militaire, j’ai déménagé je ne sais pas combien de fois, j’ai changé six fois d’école…. Je disais toujours petit : “Si je ne vois pas un douanier, cela ne va pas”. J’ai besoin d’oxygène et je me suis entouré de gens qui ont la même vocation. Se retrouver à Tokyo, Ottawa ou ailleurs, c’est quelque chose de normal pour moi”, explique encore Thierry Huet. “L’énergie et l’enthousiasme sont toujours présents chez moi. Je m’entoure de gens qui en veulent, je cherche un état d’esprit. J’amène les gens à oser. Je leur dis souvent : “Si vous êtes ici, ce n’est pas pour exécuter mais aussi pour challenger”. Et je ne prends aucune décision seul. Ce serait une folie d’engager des dizaines de millions sur mon seul avis.”

Ex-CEO pour le Benelux du groupe anglo-américain Pillsbury Grand Metropolitan et dont Desobry faisait partie au même titre qu’Häagen Dazs ou Suzy Wafels, Thierry Huet a fait le grand saut en rachetant la biscuiterie en 2000. Desobry, qui a vu le jour en 1947, retrouvait alors son destin familial après deux décennies passées dans le giron de grands groupes internationaux. Depuis, il n’a eu cesse d’automatiser et d’internationaliser son entreprise. En 2019, un investissement de 18 millions d’euros avait ainsi été consacré à la mise en place d’un tout nouveau site industriel pour centraliser toutes les activités liées à l’emballage des pralines biscuitières en différents assortiments et à leur stockage.

Enfin, quid de la succession ? “Il y a déjà des choses bien installées, toujours dans une logique de transmission familiale. Mes enfants sont tous des indépendants. Ils ont cela dans leur ADN, ils mènent bien leur barque, ils s’intéressent à ce que je fais. Mais sans doute que le prochain CEO sera extérieur à la famille”, nous explique-t-il encore. Entretien.

Comment se porte la biscuiterie Desobry aujourd’hui ?

En 2019, Desobry affichait un chiffre d’affaires de 33 à 34 millions. Nous en serons à 42 millions pour l’exercice en cours qui se termine fin juin 2024. Mais derrière cette progression se cachent aussi des augmentations de prix. Depuis 2019, nous avons vécu dans le secteur alimentaire quatre crises qui ont été autant de tsunamis. Je n’ai jamais connu cela dans ma carrière, en dehors de la crise de la dioxine à la fin des années 90. On parle de la hausse des prix dans les grands magasins mais nous avons vécu pareille situation. Il faut se rendre compte que Desobry a connu une augmentation de ses coûts directs de plus de 50 % en 18 mois. La hausse du prix des matières premières, dont l’origine remonte avant le début de l’offensive russe en Ukraine, a eu un impact de 11 millions sur Desobry. Les rémunérations ont suivi avec l’indexation des salaires qui est une folie. Et nous vivons actuellement une crise du chocolat… Ce chiffre d’affaires de 42 millions a été réalisé dans un business en légère croissance en volumes, grâce à l’exportation.

Quelle est la part de votre chiffre d’affaires réalisée à l’exportation ?

80 % de notre chiffre d’affaires est réalisé à l’exportation, ce qui est unique dans l’industrie en Wallonie. Et pour plus de la moitié, c’est en dehors de la zone euro. La zone la plus forte pour nous, c’est l’Amérique du nord (États-Unis, Canada et Mexique) mais on se développe aussi en Amérique du Sud. L’autre zone de croissance, c’est le Royaume-Uni où nous livrons à tous les grands distributeurs anglais, comme Marks & Spencer ou Tesco.

Pour les entreprises wallonnes confrontées à la concurrence mondiale, c’est le combat de David contre Goliath. Et cela, le monde politique ne le comprend pas.”

Thierry Huet, patron de Desobry

Et au niveau de l’emploi ?

Nous sommes une petite multinationale. Nous sommes 160 actuellement. Nos effectifs restent stables avec un chiffre d’affaires qui augmente. En l’espace de 23 ans, on a conservé le même taux d’emploi mais on a commencé avec 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et nous sommes donc à 42. Et cela, c’est grâce à une hausse de la productivité et aux investissements réalisés. Entre 2009 et 2019, nous avons été dans une période de révolution, en passant d’un modèle très “Labor intensive” à une entreprise quasiment totalement automatisée. En dix ans, nous avons réalisé au total 50 millions d’investissements. C’est une question de survie. L’automatisation et digitalisation sont fondamentales. Je le dis aussi dans l’entreprise, y compris aux syndicats. C’est survivre ou disparaître, c’est aussi simple que cela. Pour les entreprises wallonnes confrontées à la concurrence mondiale, c’est le combat de David contre Goliath. Et cela, le monde politique ne le comprend pas. Car sur le plan industriel, nous sommes des acteurs minuscules à l’échelle de la planète. Et dès que l’on s’inscrit dans ce cadre mondial et que les clients deviennent mondiaux, les exigences de qualité, d’audit, de traçabilité et de prix deviennent énormes. Mes grands concurrents – trois grands groupes allemands – ont leurs usines en ex-Allemagne de l’Est ou en Pologne avec des coûts de production nettement plus bas qu’en Wallonie. Vouloir continuer à produire en Belgique oblige à réaliser des investissements énormes. Mais a-t-on la capacité financière en Wallonie de faire ces investissements énormes, là où les Flamands ont déjà trente ans d’avance et ont des entreprises qui pèsent déjà 300 à 600 millions d’euros, voire 1 milliard ?

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Et donc il faut lutter pour survivre…

Effectivement. Quand on fait une comparaison des salaires, pour le calcul de la marge salariale, on prend comme référence l’Allemagne, les Pays-Bas et la France. Cela rime à quoi ? Cela montre l’inertie intellectuelle belge. Dans le monde d’aujourd’hui, la proximité, ce n’est plus Dinant, Namur ou Berlin, c’est la Pologne. Si on veut préserver une politique industrielle, on doit quitter ce prisme belgo-belge de se comparer systématiquement à nos trois pays voisins. Mais on n’a pas la volonté, ni le courage de se rendre compte que le monde a changé. Dans un premier temps, il faut commencer à se comparer à tous les pays européens. En Belgique, nous sommes sclérosés. Volontairement, car c’est un choix idéologique. On n’ose pas déplaire pour des raisons électorales.

Derrière l’entreprise, il y a une femme ou un homme qui dort peu. Dans le monde latin qui est le nôtre, les gens ne veulent pas vivre avec deux notions : le risque et l’incertitude.”

Thierry Huet, patron de Desobry

Desobry a-t-elle la volonté de rester une entreprise familiale ?

Oui, la volonté est de poursuivre ce chemin. Nous avons toujours des appels du pied de grands groupes pour nous racheter. La raison pour conserver cet ancrage familial, c’est essentiellement la volonté de conserver notre liberté. Il faut parler au grand public de plus en plus d’entrepreneurs et pas uniquement d’entreprises. L’entreprise est une espèce d’institution que le francophone ne comprend pas du tout. Derrière l’entreprise, il y a une femme ou un homme qui dort peu. Dans le monde latin qui est le nôtre, les gens ne veulent pas vivre avec deux notions : le risque et l’incertitude. Et les médias jouent un rôle absolument énorme dans cette perception, à force de parler de sécurité, de garanties,… On fige les choses, on inhibe les initiatives… Les gens passent leur seule vie à avoir peur. Quand on va dans le monde anglo-saxon, on respire un autre air.

D’où viendra la croissance du groupe dans les années à venir ?

Elle viendra essentiellement du grand export, hors zone euro. C’est déjà le cas maintenant mais cela va s’amplifier. Toute la partie Amérique du Nord représente grosso modo près de 30 % du chiffre d’affaires. La Belgique et la France, qui sont les marchés historiques, également 30 %, dont 20 % pour la France. L’Angleterre, elle, c’est près de 15 % , ce qui est énorme. L’Amérique du Sud est aux alentours de 10 % et le restant, c’est la zone asiatique.

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Où vendez-vous vos produits en Asie ?

En Chine, au Japon, en Corée du Sud et au Vietnam. La Thaïlande, les Philippines etc pourraient suivre. Nous pourrions aller plus vite dans ce développement international si nous étions plus grands car nous pourrions installer des filiales commerciales. Mais c’est impayable pour nous.

Quel a été l’impact du Brexit au Royaume-Uni sur vos ventes ?

L’impact du Brexit a été essentiellement logistique. C’est plus lourd sur le plan administratif mais il n’y a pas eu de droits de douane, ce qui était le point essentiel pour nous. Il n’y a pas eu d’impact commercial.

Quelle est la part de l’e-commerce dans votre stratégie. S’agit-il d’un canal de vente pour vous ?

Je suis très pragmatique. On va relancer la réflexion sur ce point et revoir notre site. On vend sur notre site mais cela reste très marginal. Mais à ce stade, ce n’est pas primordial, nous avons d’autres priorités.

Le constat est clair : la Wallonie est une région pauvre. Le PIB wallon par habitant est inférieur à 34 500 euros, en Flandre, c’est 50 000. Le retard de la Wallonie est énorme.”

Thierry Huet, le patron de Desobry

Un mot sur la crise du cacao. Cela vous angoisse-t-il ?

Oui. La valeur de remplacement du cacao amènerait une augmentation de nos coûts de quasiment de 7 millions d’euros par an. C’est la première matière première chez nous. On ne s’y attendait pas. Personne chez Callebaut, ni Cargill n’avaient anticipé cela. Et au cours des 40 dernières années, on n’a jamais vécu un tel phénomène. On affirme qu’il y a eu une mauvaise récolte mais je crois aussi que les gouvernements ivoirien et ghanéen ne sont pas étrangers aux évolutions récentes.

À quelques semaines des élections des élections, quel est votre regard sur la situation économique de la Wallonie ?

Je ne souhaite pas rentrer dans des discussions émotionnelles ou faire du “Wallonia bashing”. La force des Anglo-Saxons, c’est de s’appuyer sur les faits et les chiffres, d’analyser et d’évaluer. Et que constatons-nous au niveau des chiffres ? Je me base sur ceux de l’Iweps : ils montrent qu’en 2022 au niveau du PIB par habitant, la Wallonie est dépassée par la Lituanie, la Slovénie, la Tchéquie ou Chypre. Cela démontre l’échec de tous les plans de développement économique de la Région. La Flandre, elle, se trouve dans la zone de l’Allemagne, du Danemark et de l’Autriche. Le constat est clair : la Wallonie est une région pauvre. Le PIB wallon par habitant est inférieur à 34 500 euros, en Flandre, c’est 50 000. Le retard de la Wallonie est énorme. C’est d’abord cela qu’il faut dire sans être alarmiste. Par ailleurs, selon les chiffres de la BNB, le taux d’activité en Wallonie est de 63 %, aux Pays-Bas il est de 82 %. Vous imaginez l’écart en termes de recettes fiscales ! Et on a un endettement colossal, donc on a déjà épuisé toutes nos ressources.

Chez nous, un peu comme en France, l’entrepreneur a souvent été considéré comme un sale profiteur, un tricheur.”

Thierry Huet, patron de Desobry

La Wallonie est en état de quasi-faillite ?

Heureusement que l’on fait partie de l’euro. Avec les chiffres que l’on a, on aurait assisté à la dévaluation du franc belge… J’en ai marre d’entendre dire les ministres socialistes “Ah oui, mais vous comprenez, il y a eu les charbonnages en Wallonie, la sidérurgie, etc”. Il faut arrêter avec ce discours, c’est un déni de réalité. Nous avions fait à l’époque avec l’Union wallonne des entreprises (UWE) une analyse sur les régions en Europe qui avaient le même ADN que la Wallonie sur le plan industriel. Regardez Maastricht, c’est un bon exemple d’une reconversion stratégique, industrielle et technologique beaucoup plus forte et rapide. Il est urgent de se poser les bonnes questions et d’avoir une certaine humilité devant les chiffres.

Y a-t-il dans le chef des politiques une volonté de rester dans un certain clientélisme électoral ?

C’est certain. Et il y a une déresponsabilisation de chacun. On a toujours voulu protéger les Wallons de la réalité. Les discussions sont restées dans des microcosmes où on s’est dit : “On va faire des clusters…” Il y a certes des entreprises qui se sont développées comme le pôle autour de Gosselies ou Odoo. Mais, c’est l’arbre qui cache la forêt. Par rapport à d’autres pays, il faut avoir le cœur bien accroché en Wallonie ou même en Belgique pour développer un business. Chez nous, un peu comme en France, l’entrepreneur a souvent été considéré comme un sale profiteur, un tricheur.

Le président du PS Paul Magnette a encore cette semaine stigmatisé les patrons…

La situation réelle de la Wallonie, les enjeux colossaux qui s’adressent à elle nécessitent non seulement de la maîtrise dans le raisonnement mais surtout du respect vis-à-vis des femmes et des hommes, entrepreneurs, qui prennent des risques énormes, mettent leur patrimoine en jeu, dans un environnement mondial concurrentiel et fait d’incertitudes, et qui financent les politiques publiques. Enough is enough.

Prenons la connaissance du néerlandais. Je suis effrayé. Les Flamands ont pris tous les leviers de pouvoir dans ce pays.”

Thierry Huet, patron de Desobry

Pourquoi le Wallonie a-t-elle autant de mal à évoluer ?

On ne s’est jamais véritablement attaqué aux racines des problèmes. Il y a une peur de l’évaluation, de toucher aux acquis. Quand on voit des plans de relance, il y a du saupoudrage sous-régional car il en faut pour tout le monde. Quand l’Irlande s’est redressée, elle a changé sa fiscalité et c’est cela qu’il faut pouvoir faire. Il faut des choix beaucoup plus radicaux et les assumer. Et responsabiliser les gens. En Wallonie, on a essayé de faire du changement sans vagues, à la fois pour plaire un peu à tout le monde sans trop bousculer. Résultat : plus personne n’est responsable car tout est dilué. Encore une fois du côté Anglo-Saxon, quand on évalue une situation, on se demande d’abord comment réellement changer les choses. Et on est ensuite très pragmatique quitte à faire de gros changements et à déplaire. Chez nous, on vit de discours, de vœux et puis plus rien…

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Vous êtes un peu sévère non ?

Prenons la connaissance du néerlandais. Je suis effrayé. Les Flamands ont pris tous les leviers de pouvoir dans ce pays. Je l’ai vu dans ma génération. Quand je suis dans une réunion patronale, on parle français et néerlandais. Si je ne comprends pas un mot de néerlandais, je ne comprends pas ce que dit mon voisin. À la fin des années 90, Laurette Onkelinx a dit : “Tous les petits francophones seront bilingues”. Qu’est-ce qu’il y a eu après ? On n’a même pas obligé les francophones à prendre comme deuxième langue le néerlandais : ils peuvent apprendre l’anglais, l’espagnol… Récemment, dans un entretien, Thomas Derminne (PS) a dit ceci : “Apprendre le néerlandais dans un pays qui est bilingue et qui repose sur la solidarité nationale n’est pas une demande excessive”. On n’a pas de honte dans ce pays à répéter 24 ans plus tard ce qui a déjà été dit. Pour trouver quelqu’un de bilingue à Tournai, c’est impossible… Je dois aller le chercher dans le Brabant wallon. C’est symptomatique. On crée des grands bazars mais qui ne sont pas opérationnels…

Au niveau de la dépense publique par rapport au PIB, la Belgique arrive en deuxième position, juste derrière la France. Regardez les Pays-Bas : peu de taux de chômage, peu d’endettement, des dépenses publiques faibles… Ce n’est quand même pas un pays en voie de développement…”

Thierry Huet, patron de Desobry

On peut parler aussi de la multiplication des outils de développement économique avant la création de Wallonie Entreprendre…

Il était urgent de mettre en place Wallonie Entreprendre. À l’époque, quand j’étais vice-président de l’UWE, on avait demandé au consultant Deloitte de résumer en page de tout ce qui existait pour l’aide aux entreprises en Wallonie. On ne s’y retrouvait pas… Il y avait 95 % des structures dont j’ignorais même l’existence… C’est kafkaïen. Je dis aux politiciens, allez simplement en balade avec votre famille en Flandre. Quand on prend l’autoroute de Lille jusqu’à Gand, on voit ces entreprises et on est ébahis. Et quand vous revenez en Wallonie, c’est là que vous voyez la différence… .

Quelles mesures fortes devraient être prises pour redresser la Wallonie ?

Le coût horaire est beaucoup trop élevé. En Belgique, c’est 50 euros de l’heure, la zone euro est à 38 euros. Il faut associer le coût du travail pour un employeur à la progressivité rapide de l’impôt des personnes physiques (IPP) pour les salariés. Et c’est le point clé qui montre le côté absurde des choses. La Belgique est le pays qui taxe le plus vite : 40 % du revenu imposable à 15 000 euros sur une base annuelle, alors que les pays européens ne taxent qu’à 10 % en moyenne à ce niveau. Pour qu’un salarié gagne davantage en net, l’employeur doit encore augmenter le brut, ce qui rend la situation intenable. Ce qu’il faudrait, c’est de réduire l’IPP et les cotisations en donnant davantage de pouvoir d’achat aux citoyens. Le deuxième élément, c’est que nous avons des dépenses publiques complètement folles. Au niveau de la dépense publique par rapport au PIB, la Belgique arrive en deuxième position, juste derrière la France. Regardez les Pays-Bas : peu de taux de chômage, peu d’endettement, des dépenses publiques faibles… Ce n’est quand même pas un pays en voie de développement… En termes de poids des dépenses publiques par rapport au PIB, il y a un écart de 10 % entre les deux pays. Cela représente 50 milliards d’euros. Cela permettrait d’absorber nos problèmes….

Il faut mettre fin à l’État providence…

Il faut une réflexion en profondeur sur le rôle de l’État et rapidement. La France est dans le même état que la Belgique. Le budget de l’enseignement en Allemagne est identique à celui de la France, mais celui de la France est consacré à 80 % à de l’administration, c’est-à-dire à des personnes qui ne sont pas le terrain. En Allemagne, c’est juste l’inverse. Prenons le Forem: vous avez vu le nombre de gens qui y travaillent…. J’ai entendu dire que le nombre de gens qui suivent les chômeurs, c’était peut-être 500, 600 ou 700 personnes alors qu’il y en a 4 500 au total. Quand il n’y a pas de politique d’évaluation, on le paye toujours cash… Au final, on a un appareil étatique totalement inefficace, impayable et financé par des impôts excessifs. Est-ce que l’État demain doit continuer à tout faire ? Est-ce qu’il ne doit pas s’orienter uniquement vers des aspects régaliens ?

Ayons une véritable politique industrielle dans ce pays. Il y a eu Van Hool, on parle d’Audi Brussels…. Cela va continuer…. L’attractivité d’un pays dépend de son industrie et il y a une menace sur cette dernière.

Thierry Huet, patron de Desobry

Et au niveau de l’impôt des sociétés ?

La Belgique et la Wallonie en particulier sont de moins en moins attractives. Au niveau de l’impôt des sociétés (Isoc), nous en sommes à 25 %. Nous avions déjà demandé au niveau industriel de le descendre. Et même pourquoi pas à 0 % : je rappelle que nos petites entreprises sont confrontées au monde entier. Je ne demande pas que l’on augmente mon bénéfice en passant de 25 % à zéro mais cela permettrait de l’autofinancement, de développer nos entreprises. Ayons une véritable politique industrielle dans ce pays. Il y a eu Van Hool, on parle d’Audi Brussels…. Cela va continuer…. L’attractivité d’un pays dépend de son industrie et il y a une menace sur cette dernière. Dans un plan qu’elle avait présenté, l’UWE avait fixé un objectif de 22 % du PIB réalisé dans l’industrie. J’ai éclaté de rire en entendant cela. On n’y arrivera jamais avec le système actuel.

Quid au niveau de la formation ?

Pourquoi réinventer la roue sur la formation ? Il faut développer la partie qualifiante. Prenons exemple sur l’Allemagne et la Suisse. Partons de ce qui existe : on l’implémente chez nous et on réinvestit dans le technique. Il faut aussi investir dans le maternel et dans les deux ou trois années du primaire, c’est là ou tout se joue. Et il faut réapprendre le goût du risque et de l’incertitude. Au final, il faudrait prendre 3 ou 4 mesures fortes. À partir de là, ce pays pourrait repartir très vite. La Slovaquie et la Slovénie sont en train de reprendre toutes les industries. Ils vont à une allure extraordinaire. Tous ces pays progressent rapidement. Où serons-nous dans dix ans ? Avancer comme on l’entend des idées comme la semaine des 4 jours payés 5, c’est du populisme. Il faut être fou.

Que pensez-vous du débat politique autour de la taxe sur les millionnaires ?

C’est du poujadisme. Ces millionnaires, ils investissent énormément dans l’économie. Et le capital est déjà fort taxé en Belgique. II y a un Isoc à 25 %. Une entreprise gagne 100 euros, il lui reste 75 euros et puis avant de toucher le premier dividende de sa propre société, le propriétaire est soumis encore à un précompte de 30 %. Le premier euro que l’on peut gagner en dividende, il est donc déjà taxé à 50 %. Il ne faut pas dire que le capital n’est pas taxé dans ce pays. On va encore continue ce cirque longtemps…

L’idée est de reformer les gens pour qu’ils retrouvent un emploi. Quand on les maintient pendant deux ans ou plus dans le chômage, c’est quasiment irréversible. Le phénomène de solidarité-assistanat inhibe toute action de la part des gens et les enferme.”

Thierry Huet, patron de Desobry

Vous pensez aussi que cela touche à certaines de nos valeurs comme la solidarité ?

Oui, en effet. C’est quoi en réalité la solidarité ? Aujourd’hui, il y a le problème du piège à l’emploi : certaines personnes préfèrent arrêter de travailler et toucher le chômage. La réalité, c’est que le travail n’est pas assez valorisé mais que l’on ne sait plus le valoriser aujourd’hui dans ce pays avec le système en place. On ne pourrait le faire qu’au travers d’une fiscalité beaucoup plus attractive. Sur le point de la durée des allocations de chômage, je plaide pour une solidarité mais une solidarité responsable. En réduisant la durée d’octroi de ces allocations mais en augmentant au début le montant accordé. Les allocations doivent être plus rapidement dégressives. L’idée est de reformer les gens pour qu’ils retrouvent un emploi. Quand on les maintient pendant deux ans ou plus dans le chômage, c’est quasiment irréversible. Le phénomène de solidarité-assistanat inhibe toute action de la part des gens et les enferme. Cette solidarité devient une prison dont on ne sort plus. Pour moi, la solidarité, c’est de permettre à quelqu’un de rebondir. Alors on me dit, vous êtes de droite… Il faut arrêter avec cela. Dans vingt ans, on sera où ?

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Mais pendant ce temps, les sondages montent que le PTB a le vent en poupe…

Soyons clairs : si jamais le PTB était au pouvoir, je crois qu’aucune grande entreprise ne voudrait encore y investir. Il y a une méconnaissance économique qui est énorme dans les pays latins. C’est très jacobin l’idée que l’État va faire tout pour moi. Du côté américain, on est beaucoup plus proche du “business” et on est beaucoup plus responsable. Pourquoi les migrants veulent aller en Angleterre ? Parce que là, ils ont beaucoup plus de possibilités de développement. À Montréal, il y a plein d’Haïtiens qui ont leurs taxis. J’avais discuté avec l’un d’entre eux qui avant de vivre à Montréal avait passé 15 ans à Paris. “Là, on me déconsidérait”, m’a-t-il expliqué. Et d’ajouter : “Ici, j’ai créé ma propre boîte et maintenant j’ai déjà six taxis”. Tout était dit….

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Source: https://www.lalibre.be/economie/entreprises-startup/2024/04/14/thierry-huet-patron-de-la-biscuiterie-desobry-on-a-toujours-voulu-proteger-les-wallons-de-la-realite-il-y-a-un-manque-de-courage-politique-2ACGQ2KRKVGRTIBQG2UUOJB7TA/

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